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Une Française en Amérique

27 juillet 2013

Epoque

Ainsi les jours les plus cléments                                                     Pour Patricia et Robert Lundquist
De cette époque
Seront ceux
Passés sous les saules
De ton jardin quiescent,
L' offrande de ton amitié. 

Dans les verts et les couleurs
De tes herbes et de tes fleurs
Des après-midis de belle heure
M'entraînant au beau leurre
L'élégante quiétude.

Le soleil plombant le jardin
Est plus précieux encore
Que le soleil surplombant
Un nouveau monde, un joli blond. 
Sous les herbes dans les saules
Le grand chat s'étend
Le piano joue Brahms
Et moi qui vient de finir le bonheur
Dans ma petite tasse.

Je viens pour me souvenir, 
J'y viens me ressaisir.
Je viens vivre une époque
Sans blême, sans exil.
Je m'y réfugierai mille ans
Si seulement je dus vivre
Si longtemps.
Ce paysage existe-t-il 
Comme ça
Ou sort-il
D'un songe?
Voilà ce que c'est de vivre en poème
En liberté ambulante. 

Cette liberté d'être,
La joie de ton amitié. 

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17 septembre 2012

Pauvreté

Il y a tellement de façons à se trouver pauvre. La pauvreté, c'est un peu comme une maladie. On peut la prévenir; parfois, elle survient malgré tous les efforts. Chaque nouvel appel à combler un poste devient une lueur d'espoir en plus; quand on n'a pas de chance, chaque espoir s'éteint, toute une file d'espoirs, on dirait des bougies qui meurent une à une. Tous les jours, la même misère, la même envie maladive d'aller travailler. Et puis, malgré la fièvre mordant le coeur, on se taille d'heureuses maximes. Bosser, c'est bon pour le moral. Comme c'est bon, la belle vie avec un petit pot en or à la fin du mois. C'est sympathique, il s'entretient lui-même, lui, là, avec avec sa valise en cuir. On y pense qu'avec une certaine tristesse, surtout quand on cherche. On voudrait tellement balayer le sol du café, on aimerait ranger les cartons de savons à l'arrière d'une boutique. On le ferait comme il faut. On ne pense plus qu'à cela. On n'ose pas aller au supermarché non plus. Mon rêve, ce serait de laver la vaiselle publique au moins cinq fois par semaine. Parce qu ça paie. Parce que ça sent la liberté, en fin de compte.

 

 J'm'y vois déjà, je descends la rue sac en main, les cheveux rebondissants d'espoir. Je marche vers le café pouilleux: j'y travaille. Je bosse vingt heures par semaine dans cette boîte, à cirer les fausses dalles, à laver la vaiselle des autres. Après quatre semaines de travail partiel vingt heures par semaine; l'accomplissement professionel, on croyait à une garantie providentielle; le patron me tend un billet de banque par-dessus le bar aux crachats. Cent quatre-vingt dollars par mois. 

 

C'est le rêve, une vie comme cela. Un rêve pressant, surtout. Entre temps, le boulot s'évide, les centimes font de même. On vous dira, c'est maigre comme boulot, vous ne faites rien de votre vie, cent quatre-vingt dollars par mois, c'est du vol, et toutes les autres idées que les gens bien mis s'inventent. Peut-être qu'ils ont raison, du haut de leur échelle sociale... quand je vois mon frigo un chou plus dodu que la dernière fois, c'est le progrès qui se témoigne. Parfois, quand il est presque plein, on a envie de prendre une photo, pour ne pas oublier le fruit de ses efforts. Etre pauvre, c'est choisir entre faire le plein et manger bien. On n'a pas le temps de rêver aux arts, à jouer au piano, à l'astrologie, à lire du Gide, à devenir fortiche en mathématiques... on s'en contrefout de toutes ces conneries. Ce serait bien d'être écrivain, écrivain mineur même; on passerait le plus clair de son temps à écouter les moineaux, à se promener dans un jardin, le coude plié (les coudes pensent), accompagné d'un joli épagneul au pelage soyeux. Mais qu'est-ce qu'on en perdrait, du temps! Ces gens-là s'inventent des responsabilités, parce qu'ils n'ont que ça à faire, les pauvres.

 

Ils te parlent d'humanité... comme s'ils connaissaient le sujet. Les pauvres, ils savent ce que ça signifie. L'humanité, c'est la fille qui s'est enfin décidé à te sourire. Le type qui m'offre un resto quand j'ai faim. Ou bien une clope entre quelques vélos, le soir tombé sur le port. C'est manger des gateaux entre amis la nuit tombée, en admirant les lueurs sur l'eau, en déconnant qu'il y a un corps là-bas. C'est un recruteur qui te demande pour la première fois depuis deux ans, "Quand êtes-vous disponible?" pour une prochaine entrevue. C'est la probabilité de devenir laveuse de vaisselle, un de ces quatre. C'est boire tout son vin. C'est se réveiller tous les matins et ne jamais connaître l'ennui; il y a trop à faire s'il faut vivre.

7 septembre 2012

Puylausic (écrit en 2009, avant le grand départ)

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 Il a quelqu’un dans ce monde dont il faut parler de temps en temps. Si l’on commence avec une phrase pareille, c’est que la plupart du temps ce sont des gens de peu d’importance dont on veut parler. Mais quelque part, ils ont néanmoins été bénis d’une signification, une signification qu’il faut parfois aller trouver au fond de leurs yeux, au fond de leur premier paraître physique aux nôtres, aussi insignifiant qu’il soit. Aujourd’hui, je dois vous parler d’une femme que j’ai connu, une femme comme cela, une femme qui faisait partie de ma famille. Remarquez, j’en parle au passé, mais elle n’est pas morte. Pas encore. C’est juste qu’en ce moment je ne suis plus en mesure de la revoir, alors, pour le moment et ce moment seulement, elle appartient au passé. Parlons-en. C’était une cousine, mais aussi une nièce et une fille. Elle n’eut jamais d’époux, et elle ne fut jamais mère non plus. Vivant à la ferme de ses parents à deux kilomètres du village, elle s’y rendait parfois rendre visite aux vieilles tantes et leur descendance. Ce fut en général à l’occasion des réunions familiales qui avaient lieu soit chez l’une d’elles, qui habitait au centre du village, soit dans la salle des fêtes à côté.

Quand on se réunissait, on venait la voir et la saluer, on lui demandait comment cela se passait à la maison, et comment allait le père. Elle répondait à toutes ces questions en hochant de la tête, en gazouillant de son lourd accent gascon ; on l’avait tous ; et comme tout le monde causait, elle restait au côté d’une de ses vieilles tantes et suivait avec intérêt la conversation que celle-ci entretenait avec une autre nièce. On emmenait aussi les enfants à l’occasion de ces réunions, surtout quand on venait de loin, car on voulait voir comment cela grandissait depuis la dernière fois. A ces enfants-là, venus de loin, elle ne connaissait pas les prénoms. Elle les regardait s’amuser à se courser entre les chaises et autour de la table, en poussant des petits cris, aigus de surprise et d’énergie de la petite enfance.

Comme on avait pris l’apéritif chez l’une des tantes, on allait peu après à quelques kilomètres de là dans un restaurant près de Samatan. La famille, par son grand nombre, dut emprunter trois voitures pour s’y rendre. On devait ce repas à l’une des arrières tantes, qui avait commandé par téléphone deux poules pour le plat principal. Elle connaissait bien les propriétaires du restaurant : depuis neuf ans, elle s’y rendait chaque année. Là-bas, les gens l’appelaient affectueusement ‘Mamie’, et ils n’hésitaient jamais à baisser un peu l’addition quand elle déjeunait chez eux.

 

A cette époque de l’année, on avait tout moissonné, les vins étaient vendangés, les récoltes terminées et les sillons déjà creusés. Dans le pays du Gers, les collines labourées offrent au passant un curieux spectacle : dès lors qu’elles ont été sillonnées, l’ombre au fond de leurs rainures ainsi que les riches contours de la terre donnent une impression d’un paysage marbré dans la lumière du coucher de soleil. On aurait presque dit la Palouse, si ce n’était pour la verticalité des sillons ou encore pour les bocages. Il y a là toute une beauté, un mystère exotique et la mélancolie d’un tableau de Van Gogh. Mais en fin d’automne, les couleurs ternissent. La cousine laissait défiler le paysage sans vraiment le contempler ; et elle se retournait parfois et lançait un regard vers une de ses tantes ou ses autres cousins. On lui demandait si cela se passait bien ; oui, tout allait bien, et elle revenait à sa fenêtre et son paysage, une petite main potelée posée sur la portière.

A table, elle demandait tout fort si l’on n’avait pas un morceau de pain pour elle ; les convives se questionnaient entre eux, reposaient la question et faisaient passer du pain là où elle était assise. Elle mangeait très peu, se bornant à une carotte, un morceau de poule et de la farce, pour « compléter ». Elle ne finissait pas entièrement son bouillon, parce qu’elle n’aimait pas ça. Elle évitait de manger des hors-d’œuvres et ne prenait pas de dessert non plus, parce que le médecin lui avait interdit de manger trop de gourmandises à cause de son foie.

C’était une petite femme humble et débonnaire ; une personne simple, au sens qu’elle menait une existence insignifiante. Son seul parent vivant encore depuis les dix dernières années était son père. Ce dernier s’occupait de sa fille comme il pouvait, et elle en faisait de même pour lui. Pour l’aider, elle entretenait la maison avec un soin particulier, elle l’accompagnait parfois en ville, lui qui avait son permis de conduire. Mais la plupart du temps, elle restait seule dans la maison.

Quand le père rentrait le soir du travail des champs, c’était lui qui préparait le dîner. Le matin, il emballait dans du plastique un morceau de foie avec du pain et partait de sitôt. Sa fille ne mangeait pas de la journée, car elle ne savait pas cuisiner. Une vieille amie d’enfance leur envoyait parfois des confits et des magrets qu’elle préparait elle-même. Parfois, la fille du vieux fermier allumait le gaz et faisait réchauffer quelque chose, qu’elle mettait dans une casserole et le faisait tourner avec une fourchette d’un même mouvement lent et circulaire, sans s’arrêter. Et quand elle éteignait la cuisinière, elle tenait la casserole gauchement, toujours en faisant tourner les aliments. Peut-être considérait-elle cela comme un geste divertissant ; cela donnait quelque chose à faire aux mains.

Tout ce qu’elle fit, ce fut de rester dans la maison, toute la journée, dans une petite maison paysanne, attendant le soir, attendant que son père rentre des champs. Et qui sait ce qu’elle faisait pour s’occuper quand le ménage était terminé, sachant qu’elle n’écoutait pas la radio, et qu’elle ne savait pas lire. Que pouvait-elle bien faire ? Elle ne priait jamais le Bon Dieu ; elle ne savait comment, ni pourquoi, et de toutes façons, elle était aussi étrangère à la Providence qu’elle aurait pu l’être à l’Arsenal. Elle priait néanmoins sa sainte, qui était il y avait longtemps de cela celle de sa mère. Une croix de bois chétive était accrochée à un clou au-dessus de son petit lit de fer poussé dans le coin de sa chambre. C’était un ange qui avait aidé sa mère pour s’endormir et rejoindre les autres, disait-on. Mais elle la laissait là parce qu’elle trouvait que cela faisait joli comme décoration, et rien de plus.

Jamais, elle n’eut le soupçon que peut-être dans le silence éternel qui régnait entre les murs ternes, le temps filait. Personne ne pourrait savoir ce qu’était sa vie. Le père sortait le matin et rentrait le soir. Entre temps, une ellipse. Si elle ne faisait rien, peut-être qu’elle n’était pas. Peut-être cessait-elle d’exister. Mais il la retrouvait toujours, assise sur une petite chaise, dans les ombres tièdes du soir, elle dont le regard était fixé sur les branches d’un arbre solitaire au dehors, remuant ses feuilles bruissantes au son des imperceptibles lamentations des morts.

 

Depuis la Grande Guerre, il y avait presque cent ans de là, ces collines s’étaient bien vidées. Beaucoup étaient partis, et pendant quatre-vingt dix ans bien peu étaient revenus. Probablement trois personnes débarquèrent ici pour oublier (une vie, une ville, des gens, un monde) et pour se faire oublier. A l’entrée du village, après avoir gravi ce flanc étroit de la fabuleuse colline qui rappelait le flanc des pics, on se retrouvait sous une lourde chevelure noire, effilée et pleine de nœuds, qui semblait chercher à brosser la carrosserie de ses pointes : c’était celle des vieux arbres avec leurs furoncles et leurs verrues boursouflées à l’écorce, qui se tenaient sur la pointe des pieds, luttant eux aussi avec l’étroitesse de la pente. On arrivait de derrière l’église, une grande église poussiéreuse, les os d’une église, le bois vermoulu rendu gris par l’âge et le vent. Depuis longtemps, on ne l’entretenait plus. On ne pouvait avoir un curé pour une poignée de personnes ; vingt à peine était-on maintenant dans le village. Alors on avait fermé l’église ; elle fut abandonnée à elle-même. Et puis, ce fut l’éternité qui commençait. On peut toujours imaginer ce que peut serrer cette église dans son grand abdomen mort. A l’intérieur doit y croupir l’odeur de la dernière messe, vieille de quatre-vingt ans, l’odeur de quelques villageois d’une génération perdue, de ses femmes parfumées, des coiffures d’enfants, de souliers et l’odeur d’étoffe. Des odeurs si vieilles qu’elles doivent être à peine perceptibles ; sûrement se sont-elles réfugiées dans les pores des pierres. Depuis quatre-vingt ans, la nappe de l’autel est toujours là, recouverte par une fine couche de poussière qui s’accumule lentement. Entre les rangées, quelqu’un (nous n’aurions jamais pu dire qui) a du oublier son livre de chants sur un banc. Une Vierge de pierre se dresse dans une chapelle dans le mur du fond, à quatre mètres du sol, le regard fixé sur des portes qui ne sont point prêtes à se rouvrir. Elle a vieilli, les années ont passé, avec leurs jours et leurs nuits, et toujours elle semble-t-elle attendre, l’Enfant dans ses bras, regardant toujours droit devant elle, surplombant les rangées de bancs et de prie-dieu, toujours vides. Seulement, elle ne semble pas comprendre qu’ils sont à jamais vides ; on ne rentrera plus en ces lieux. Se tenir debout dans un creux dans le mur, ayant pour seule compagnie ces rangées vides, un enfant en pierre, avec du ciel rentrant par les vitres n’éclairant rien, rien qu’un néant, un passé. Etre dans un lieu oublié à huis clos, les mois passant, les années, être témoin de la levée de la lumière dans une église sans vie, et subir la tombée de l’obscurité seul devant des fantômes de bancs, se sentir glisser encore un peu sur la pente de l’oubli éternel, de la mort et l’oubli même du soleil, qui n’aurait pas horreur du sort de cette Vierge emprisonnée? En cela on peut dire que s’il y avait une chose sur cette terre qui connaît la véritable signification de l’éternité, qui sait ce que c’est réellement, par le fait qu’elle la voit là devant elle, c’est bien cette Vierge de pierre, qui attend toujours l’ouverture des grandes portes elles-mêmes mortes.

 

Le jour de la Toussaint, cette même famille passa devant l’église avec des chrysanthèmes à la main, et elle cheminait à bon pas sur le chemin de gravier qui menait au cimetière, qui était aménagé sur l’une des pentes de la colline. C’était un cimetière de taille moyenne, avec une fosse commune au fond, tout en bas, à gauche, où l’on disposait d’ossements oubliés pour récupérer de la place.

Le père de la petite femme était mort aux champs il y avait un an de cela. A présent, elle vivait toute seule dans la maison, et avait à acheter deux pots de chrysanthèmes quand il fallait décorer le caveau. Elle les portait dans le creux de ses bras, et marchait d’un pas rapide dans la descente en soufflant bruyamment. Lorsqu’on pénétra les lieux, tout le monde devint silencieux, et se dispersa entre les tombes pour retrouver leurs morts. Un d’entre eux était resté à l’extérieur du cimetière, le temps de fumer une cigarette. Je m’approchais d’une de mes vieilles tantes, qui se recueillait près de la tombe de son mari. Elle énonçait une courte prière pour lui, tandis que je contemplais les lettres plaquées d’or gravées dans le marbre. Je me retournai pour apercevoir le monument aux morts de la guerre de 1914-1918 au loin, que l’on avait placé devant l’église. Je me rappelai, après avoir lu les noms des sacrifiés, qu’une famille du village avait perdu sept de ces fils.

Une autre cousine nous rejoignit et commençait à nous parler tout bas. Elle m’avoua sa peur d’être jetée dans la fosse commune, une fois qu’on l’avait oubliée, me dit-elle. Je mis ma main sur son épaule et lui promis que je ne laisserais pas cela se produire, qu’elle pouvait compter sur moi pour que son lieu de repos soit toujours fleuri. Elle me sourit et me dit que j’étais bien gentille, comme petite cousine, quand on entendit soudain quelqu’un s’écrier,

« Il est là, tiens, tu vois ! » C’était la petite femme qui avait perdu son père qui montrait le caveau où gisaient ses parents. Je m’avançai vers elle et l’aida à placer ses pots de chrysanthèmes sur la tombe. Nous arrangeâmes les fleurs et balayâmes les feuilles d’un arbre qui étaient tombées là. Elle se redressa, regardant le caveau par-dessus sa poitrine de petite femme corpulente, les mains croisées, et nous restâmes silencieuses. Enfin, elle se mit à parler la première, et ce qu’elle eut à dire, elle le dit soudainement, et ne me laissa à peine le temps de me préparer à entendre une telle chose. Elle dit,

« Bon, les voilà, les voilà tous les deux, maintenant il ne manque plus que moi. Après moi, on fermera le caveau, et comme ça je serai avec papa et maman. »

 

 

Ceux qui ne jouissent pas d’un avenir peuvent au moins se consoler en pensant que nous avons tous le droit à une destinée.

24 août 2012

Arcadie nue

Tandis que je rêvais un jour d'être poète,

J'aspirais en fait à être poème.

 

Si mon chapeau s'oublie au vent,

Que ce fût dans le courant soufflant

Sous ma plume sur la feuille. 

Je me nouerai, je me déferai.

Je préfère être le jouet muet

Que la nature qui se tait.

 

Quand répondent absentes les pluies,

Mon toit s'érige des visions d'Arcadie.

Les vulgaires arrachent le corps de l'esprit.

Le savant écoute ébullir un fou épris.

S'arrachant d'un rêve, il sème le mot bien mis.

 

J'ai failli connaître un lieu nommé Paradis.

A ma portée, au guet apaisé

Se tenait le glorieux sonnet

Récepteur de l'ovation des siècles.

 

Je rêvais d'une sagesse de grande tournure;

Au tournant de mon sommeil je l'ai perdue.

Mon besoin mortel ne me rend pas plus enseignée:

De nouveau, j'ouvre les yeux au matin routinier. 

30 juillet 2012

La Pianiste tonnerre

Un soir d'étoiles parfumées, au moment de pénétrer le fantastique hall de musique, comment imaginez-vous la pianiste? Au centre de l'orchestre trône le splendide compagnon de son art; si la tragédienne cultive ses planches, la pianiste dresse le piano. 

Boucles féériques et porcelaine russe. Sa longue robe blanche émane un nuage frémissant d'harmonie. Dans le balancement habitué de ses mains, dans son pas décidé, tout est écrit. Qui aurait pensé qu'elle abritait en elle tant de musiques?

 

Il y a un feu remarquable dans son regard de gladiateur. Elle s'approche du piano, se place sur le banc autoritairement, le rajustant à son besoin. Elle mesure son temps tout en le prenant. Les cils plongent sur le clavier; si ses yeux se ferment un moment je ne pourrais dire. L'artiste réserve son droit au secret.  

 

Ses mains se lèvent comme des eprits. 

Ses doigts coulent au mesures Scarlatti.

Ses mains, joyeusement nobles.

Ses poignets dansent, farandole.

Le piano se fait flûte, le piano tinte.

Somptueux bonheur baroque

Splendide carousel, caracole

Virevolte, saute, soupir, éteinte. 

 

Ne laisse jamais la musique tarir; ne te laisse jamais ternir dans la fleur de l'âge solidaire. Aussitôt les doigts maîtres échauffés, élastiques de confiance, on replonge dans l'épaisse ambroise d'une impression de brûme, de train suintant, de phare pleurant dans la nuit et d'aspirations.  

 

Un bout de phrase, une teinte légère, battement de coeur en suspens ou encore un virement dans la mélodie qui nous surprend par derrière, c'est là que la musique défie les poètes. 

 

Et puis, elle accélère. Les clés de se décrocher du cadre noir. Il y a un ouragan dans la salle de concert. Ses mains, menues, de menue porcelaine... mains menues devenues guerrières, enfants-kamikazes et bombes qui s'esclaffent, lapins rebondissant mille fois, follement, furieusment,franchement, feux d'artifices, finitions d'un supplice et il n'est plus qu'une note dans l'espace qui s'éloigne et qui se fane... on respire et l'on reprend, au pas tout doucement. Le piano se remet en cercle et récite du fond de sa panse sonore des hymnes universelles. On revient à un plan d'oeuvre où chacun retrouve son image dans un mirroir laissé de côté au moment du départ. 

 

Les visages diffèrent mais restent les mêmes, ceux d'entre eux qui sont jeunes sont un peu plus mûres pourtant. Ce morceau-là se termine. Il y a dans la fin d'un numéro de pianiste la même triste qualité qu'une écriture tremblante avec l'âge; on ne peut jamais prévoir la phrase finale. Pourtant ce soir-là, le piano ne s'était pas encore tu pour toujours, de quoi conserver la quiétude pour quelque temps. Mais enfin, ce fût en gouttes de pluie que la musique tombait sur l'ivoire, ce fût l'âme de Chopin qui faisait onduler le canevas du hall, remuant ce qui restait de silence pour en extirper les profondes confessions d'un instrument de prestige.

 

Nous ne voyons pas les rayons lunaires qui s'élèvent au-dehors dans la nuit, mais nous sentons ceux qui réverbent parmi nous. La nature même n'est plus qu'un lointain souvenir d'un vécu, pour un moment.

 

Tous les blessés, les jetés-dans-la-fosse et les suicidaires se souviennent de leurs problèmes quand la musique devient un brin trop évoquante. La musique ne démontre pas, comme le fait le théâtre, mais fait reconnaître sans passer par la métaphore. Quelque chose d'inné dans la sagesse du musicien le lui dicte; il eut comme un soleil au milieu de l'eau. J'en ai conservé une part; je l'ai attrapé comme un pain m'eût été lancé. De cette nouvelle nourriture, va te gorger, et reviens en artiste bien arrondi.

 

Une poussière de cloches, une nuée d'harmonies du soir. Le piano, un superbe pur-sang soulève la terre sous ses sabots de bronze; c'est une merveilleuse cacophonie qui se précipite à sa résonnante fin, et la pianiste projetée mille temps vers le baiser de l'immortalité. Fracas, atterrissage, double foulée et messieurs-dames, bonne soirée.

 

Il y a comme un tonnerre dans le hall de concert. Remballez le catharsis, repartez quiets. C'est un drôle de monde que l'on retrouve au-dehors... nous ne serons jamais suffisament désarmés pour être tout à fait honnêtes, nous les temporaires.  

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28 juillet 2012

Prélude introspective

Il est huit heures du soir dans la salle de concert. Au départ, à premier coup de vue se présente un espace vierge anticipant le tableau. Mon oeil plonge sur les lignes limpides des sièges acceuillant bientôt les futurs jardiniers. Je suis une ombre; par les allées l'on se file, les prétendants coulent cherchant à se mêler sans bruit à l'environnement. Car il faut trouver le parfait camouflage ou bien, la neutralité conventionelle pour s'imbuer de couleurs que les assoiffés attendent d'une patience quasi minérale. 

 

A peine assise, je fais papilloner mon programme. Autour de moi, la fantaisie prend aux coeurs de certains, le canevas se transforme en estampe. C'est qu'ils n'ont aucune patience, les autres. A quelques sièges de mon épaule une vieille précieuse joue avec son châle. La plupart des prétendants ont beau être froids- le romantisme les incite à la rêverie. Ils imaginent déjà leur extase. Ils trempent leur programme de leurs attentes; à peine installés parient-ils sur les saveurs spirituelles qu'ils dégusteront, chaussons dans leur salle de concert. 

 

La musique n'est pas le théâtre. La musique ne fait pas pleurer parce que la victime est blessée, mais plutôt parce qu'elle la complimente. 

 

 Les morceaux figurant sur le programme, je ne les connais pas. Je n'ai pas honte de me l'avouer, parce qu'avec mon ignorance vient aucune exigence. Je viens, j'entendrai, je découvrirai. Chaque respiration deviendra souffle vital qui brise la routine pulmonaire avec le son qui l'accompagne. Je serai jetée par les harmonies et les phrases à tour de rôle de mondes en dimensions, en état de peur en état d'esprit, je viendrai m'écraser sur les murs du silence et je suivrai le carousel, toujours sans exigences. Je suis là pour recevoir la gloire que d'être particule. 

 

L'espace enfin se concentre, la lumière bronzée se courbe. Au centre de l'orbe, un piano. Noir. Si poli, si parfait. Un piano en équilibre, les ivoires rectilignes, plus que prêtes. Un miroir ombrageux de quiétude, on verrait s'y refléter une tornade prochaine. Un bijou prestigieux, on dirait un pur-sang plaqué or attendant son cavalier. Pourquoi ne piaffe-t-il pas d'impatience, ce poulain? Il paraît qu'il n'est pas encore assoupi, il est encore flambant tendu de la fabrique; ce doit être la nervosité du premier concert surement. Si j'étais à sa place, je piafferais. 

 

L'espace se concentre, la concentration courbée. Mon regard se dirige vers la gauche, vers les portes vernies d'où paraîtera... un homme trapu en smoking. Il est chauve, il est très rond. Le récital de piano commencera dans quelques minutes; pour cela, la culture du silence est requise. Lui, ne fait qu'annoncer. Aujourd'hui nous n'avons pas le droit à la sympathique introduction de la part du professeur de piano; lui qui adoucit le climat de l'espérance mêlé à l'exigence académique de certains dont l'étendu, je ne saisirai jamais de ma vie la densité; alors, l'espace reste tendu. La pianiste, je la connais. Mais l'atmosphère semble sous pression; mon coeur palpite. Mon front se plisse, je sens les coins de ma bouche s'aggraver. Je ne veux pas faire partie du jury, non je serai pas coupable! Je suis particule du peuple des romances, voilà tout. Je ne veux tuer aucun chat... et s'il m'est arrivé de le faire un jour, je ne m'en suis pas rendu compte.

 

La lumière se courbe. La porte baille. Que le concert commence.  

28 juillet 2012

Notre Dame d'éternité

 

La mort est une femme secrète. Elle ne se présente qu'aux yeux qui se ferment et aux âmes gelées. La mort est une

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belle ou une hideuse. Personne ne la connaît, pas même le soldat, pas même le fossoyeur. Elle est leur muse invisible. Mais cela ne fait pas d'eux ses privilégiés, bien entendu; car ils passeront eux aussi du bleu au noir. Personne ne l'a aperçu. Les vivants sont bien prétentieux de la juger comme ils font: ils ne savent rien de sa dite cruauté: mais l'est-elle en réalité?

Persécutée, piétinée, à elle on fait outrance. La mort est une sorcière. On tente de l'éloigner ou de l'exiler, elle demeure l'obstiné bouc émissaire des hommes.

 

A votre place, je n'irai pas la provoquer. On ne peut jamais être trop prudent. Elle pourrait être la peste noire comme elle peut-être un serpent au fond de la tombe. On ne sera jamais certain. Et si ce fût la Vierge qui nous ramenait aux pâtures originelles? Et si la mort était un rayon d'étoile appelant une particule longtemps quêtée? 

 

Mes doigts, roses aujourd'hui, noirs demain. Mes yeux bruns seront corrumpus, je serai la branche de l'arbre redevenue rien.

 

De quoi ai-je peur, du fond de mon sommeil plutonien? L'idée d'une tonne de terre froide me fermant les yeux à jamais, mes poumons écrasés ne plus jamais respirant une seule bouffée de vent libre et ce pour toute l'éternité... et ces doigts, mais quelle tête auront-ils dans soixante-dix ans? Soixante-dix années de plus au plus tard pour subsister, au fond ce n'est pas beaucoup... face à la marche du temps, ce n'est rien, rien du tout, du tout du tout du tout. 

 

Je cherche la chaleur de ma mère. Nous sommes de nouveau, un temps d'affection, un être unique. Ma joue contre la sienne, les mains qui s'enlacent, je sens son pouls qui bat, qui se synchronise avec le mien. Un être unique.

"Je t'aimerais toujours. Mon amour pour toi est infini; il dépasse les chiffres qui voient aucune fin. Il surpasse le Temps, l'atteinte de l'horizon et tu es toute à moi, je ne te partage avec personne."

Je voudrais redevenir une cellule, un atome de son entité qui n'a rien à commencer ni rien à terminer; peut-être, à simplement passer en souffle dans ses veines et repartir comme un oeil dérobe une imperceptible lueur. 

 

Dans toute l'histoire de l'Univers, la naissance d'un individu n'est jamais garantie. Il va donc de soi que vivre n'est pas une garantie.

 Au coeur même de cette non-garantie, le né n'aura aucune garantie à une vie humaine.

Dans le vif de cette chance, le né n'a aucune garantie au meilleur ami, mais au monde d'indifférence. Il n'a pas la garantie d'un toit par-dessus son corps la nuit tombée. Il n'a pas de garantie au repos, est incertain même qu'il mourra un être épuisé. Il n'a aucune garantie à une famille. Ni à la famille qui l'élèvera, ni à celle qu'il appellera sienne. S'il a, par chance, la chance d'en avoir.

 

 L'individu tombé là par hasard n'a aucune garantie de carrière ou d'amour, aucune garantie au succès comme à la faillite, il possède une garantie à rien de chez rien. J'irai même plus loin: ce n'est pas parce qu'il est né qu'il a des droits naturels. Les droits naturels sont une fantaisie des Lumières. Entendez, il fallait bien exécuter la Reine. S'il survit, ce n'est pas parce qu'on le lui accorde mais parce qu'il en est capable. Il possède la vue, la locomotion, la sensation de faim. Son moteur est ce qui le pousse à traverser les jours. 

 

La seule garantie promise et certaine à tout être né, c'est la garantie de la mort. Y passeront tous les hommes, du clochard de satin au pape de sang. Un jour ou une nuit cela se produira, c'est la certitude de la vie. Quel que soit le temps, quelle que soit la consommation de sa part de l'existence, l'être ne sera plus. Voilà la seule et unique garantie que de vivre. C'est horrible et incroyable à la fois. Je dirais même que c'est une chose extraordinaire. 

 

La vie, une grande épopée plus ou moins taillée, elle-même en l'espace de quelques mois s'éffrite et disparaît. Et toujours, la mort accoudée auprès de sa fontaine attend au bout du chemin. Je ne sais pas où, je ne sais pas comment, mais loin d'ici, si loin que je ne la vois pas, mais elle est là-bas, et elle attend. Elle ne me tend pas les bras, elle ne me supplie pas de me grouiller non plus. Peut-être qu'elle se promène le long de ma vie, y brossant les flancs de sa robe et l'on s'accidente. Peut-être qu'elle redessine ses lèvres... il y a dû avoir plus d'un temps où notre dame d'éternité s'est rapprochée et se serait enfuie d'une soudaine envolée. J'ai comme une impression qu'elle est timide, cette mort. Que sait-on de son armoire à cette pauvre mort, hein? Et si elle portait une robe de fleurs roses? Et si la mort était blanche comme un soleil polaire?

 

Nous ne serons jamais certains de notre unique certitude. Toute humanité pour cette raison ne connaîtera jamais la véritable paix.  

 

Elle est l'unique garantie de la vie. Elle en est la soeur au visage voilée. Elle soulève son voile et les hommes perdent leur véritable virginité. Elle ne se révèle seulement quand les travaux de chacun égalent le soupir orgasmique dont ont rêvé le poète, les suivants des prophètes et les mineurs de la vérité, l'exclamation d'osmose qui ralliera chaque être à l'Univers qui l'accidenta par avant. C'est quand on aura mesuré notre poids qu'elle nous sourira.   

Et si la mort était belle? 

15 juillet 2012

Portrait reviens

Ne sois pas si triste, je sais que c'est terminé, mais ce vieux monde tourne encore et toujours... ne contemplons plus le pont qui se consume...

 

Il est comme moi, il s'est engagé depuis toujours à la fois contre et avec son noyau, sa définition. Comme moi, il ne croit pas en l'au-delà, et l'avenir le terrifie. C'est dans la nature de l'âme d'éprouver ces douleurs-là, mais non, lui botte à la face de l'humanité. Contrairement à moi, son ombre le pétrifie- il l'incarne lui-même, c'est une certitude. Sa solution, se blottir dans son coin. Pourtant il fait le pitre, il ment du corps. Il fait son fier, il fait l'observateur, il feigne le penseur, il brûle de peur.

 

On ne comprendra jamais pourquoi il pensait que le jeu était perdu d'avance; mais il avait une intelligence insondable qui lui dictait ces psaumes dans le puit des songes. Mon corbeau, mon orgueil.

 

Quand il quitte sa colline, il s'arme de son imperméable, s'assombrissant le regard déjà noir d'un chapeau pouilleux. De son feu il chasse les mauvais esprits rôdant aux coins des pénombres. Je me souviens, ce jour-là, c'est par un mois de février... allons à la rivière. Nous marchons côte à côte, comme si nous nous tenions la main. Il m'emmène au vent, nous ne sommes point perdus dans notre vallée enfouie du pays de nulle part. Il est mon âme soeur, je ne le connais pas depuis si longtemps que cela, mais au bout du chemin, nous sommes le même enfant qui a vu se disperser les rêves. Bien sur qu'il est con, mais qu'est-ce qu'il est réel. Il est si entier qu'il ne veut pas y croire; c'est pour cette raison que c'est un pauvre con. 

 

Mon corbeau, mon orgueil, tu ne sais rien de rien.

 

Il est l'Amérique. Il est singulier; il est tout ce dont j'imaginais. 

 

Il me parle de Memphis, la ville rock n'roll. Il y était quand il a rejoint l'armée. Il m'en parle de l'armée, des copains, des cigares dégueulasses dans le parc. Il me sourit de ses dents jaunes. Il a fait une blague peu après. Et puis, il y a la Belgique aussi, parce qu'il a pu y aller une fois, et ces bâtards de flamands ils détestent les francophones...

 

 Il est revenu dans son trou, duquel il ne pourra plus ressortir. C'était pas trop mal, la Belgique. C'est eux qu'ont inventé les frites, et en plus ils laissent la peau. Il est le dérobeur des ors cosmiques; il en avait besoin pour des clopes. Le gars hilare, le gars penseur; il est toute la négligence étudiée qui faisait la gloire devant les gamines d'il y a plus d'un demi-siècle. Gavroche du nouveau monde qui n'a jamais vu un peigne, un Humphrey Bogart sans gloire qui retournera de sitôt a la terre. Un aigle aux ailes mortes, il est un roi sans règne. S'il voulait il aurait pu, mais qu'importe il ne pouvait pas. Il aurait pu devenir journaliste; oui mais bon, c'est des conneries, plus personne ne lit les journaux. Le temps des manches de chemises aux imprimeries, c'est du passé. Je ne serai jamais journaliste; c'est ainsi que va la chance. 

 

Ses yeux brillent. Par contre, garde de casino, je pourrais faire. Il mime un pan! pan! pan!...

 

Mon corbeau, mon orgueil, tu ne sais rien de rien, tu ne sais rien du monde.

 

Il est l'Amérique. Il est fait des poussières de la misère et des biles de l'amertume. Dans ses yeux, il y a le néant des canons, l'infini de l'homme et l'invention de l'amour. Il est le chemin qui n'aboutit jamais, une parole qui acheve en fumée la pensée impuissante. Il est la musique que l'on n'a pas encore saisi. Il devrait être en prison mais il ne fera jamais rien de sa vie. Il est le feu derrière la montagne dans la nuit. 

 

 La première fois que j'ai vu tes yeux briller sous l'insigne du fer à cheval sur la rue Holly, je savais pertinement que je t'aimais. Allez, reconsidère devenir journaliste, puisque je te dis que c'est pas un bobard.

 

Il est dans les ponts d'acier, ces squelettes de tunnels qui soudent ensemble les rivages de la rivière. Il est dans le noir de la colline, il est dans le silence de la tempête au-dehors dans le sommeil des heures. Il est le coupant de la pluie, il fait détonner des fusils que je n'entends pas. Il est dans ces rond-points de cette ville sans importance parce que son père les a construit. Il est dans l'insigne du super-marché parce que sa mère y travaille. Il est dans le visage de toutes ces filles maudites. Il est jeté dans les étoiles, comme un reve archivé. 

 

Mon corbeau, mon orgueil, tu ne sais rien de rien, tu ne connais rien du monde, tu ne t'envoleras jamais. La vie te gardera toujours sous verre.Et toi, si tu étais un oiseau, lequel serais-tu? 

15 juillet 2012

Fort Casey

Je viens retrouver Casey; c'est pour y redécouvrir la fin de la terre des Atlantes...

C'est en hâte que je me trouve à Coupeville. Deux heures de route: à travers les montagnes préhistoriques pour me retrouver recrachée dans les courants calmes de la valley de Skagit au matin; je passe devant Sedro-Woolley... avec son autoroute en guise de grand-rue, ses fumeurs, les enfants sales... mon cil coïncide furtivement avec une certaine colline. Il est sept heures et demi du matin. Le soleil avec sa silhouette noire se perche haut dans la vallée. On passe, on oublie. Enfin, on tente de passer, mais je sais d'avance que mon voyage en ferry sera foiré, quoi que je fasse. Tant pis, je ne vis qu'une fois au premier constat.

Bientôt, le clair du ciel est defiguré par l'haleine de la mer. Voyage de grisaille en grisaille; on ne s'attarde pas sur les réserves indiennes au passage, on fuit les petites villes qui sentent l'homme blanc retraité du monde. Un paysage allant de marécages en brouillards, de déserts forestiers en désolation maritime. A neuf heures du matin, je franchis le pont de la Déception, celui qui rattache l'île de Whidbey à l'oreille du Nord-Ouest pacifique. 

Au terminal de Coupeville, le ferry quitte la terre sans moi. Je hausse les épaules: ce n'est pas la mort, je prendrai le prochain dans l'heure. En attendant, je vais me dégourdir les jambes. Je me dirige vers le haut de la falaise boisée. Pour être honnête, elle est boisée uniquement sur un demi-hectare. Les boyaux de ronces qui filent au long des rebords vantent une allure meurtrière. Le reste du terrain, ouvert au ciel, fait place à des baraques en bois, un champ militaire, leur commandantes blanches alignées au centimètre près, et surtout, les terribles canons devenus muets guettant d'un oeil éteint la fortification qu'ici les gens appellent Casey. 

Casey. C'est un nom de garçon, un nom de minier tombé dans le charbon et, d'un joueur attendant la balle la batte a l'affut. C'est le nom d'un homme maigre qui à traversé l'Oklahoma et qui ne trouva jamais de Californie arrivé à la mer. C'est le nom du pendu de Folsom. C'est le nom du garçon qui ne savait pas l'écrire. C'est le nom par lequel résonne les visages inconnus des jeunes cons enterrés de l'Histoire au bord du monde.

Fort Casey: c'est un lieu oublié du soleil. La mer l'ignore, gigantesque fossil gisant au fond du détroit; au loin on discerne la carcasse d'un cargo monstre somnolant sur l'horizon, imbu d'indifférence. Sur la terre ferme, sous les pieds du promeneur la poussière du gravat ne se lève pas, par économie, par langueur ou par pauvreté. Il y a une odeur d'animal mort qui trotte aux narines. Elle se faufile à travers la broussaille, on la retrouve incendière et décadante autre part; elle est partout. Trois-quarts de siècles sont écoulés depuis leur meilleurs jours et les bâtiments gris virent à la rouille et regrettent leur hôtes; à la place ils marinent dans l'haleine-cadavre. Au loin, passé le champ de manoeuvres, leurs voisines blanches se languissent des parasols en dentelle guettant de près leurs commandants. Partout c'est le gris, le vide; tout respire l'absent, tout pleure l'autrefois, quand il y avait un peu d'existence. 

Le bois des barraques se retient encore de pourrir. Comme des milliers de pomettes, les clous pourtant ne peuvent contenir leur rougeur. Un linge d'eau se précipite silencieusement sur mes cheveux, ça enveloppe et envoûte les lieux. Une à une, j'inspecte les barraques. Les vitres sont d'époque, polies avec l'âge; la peinture grise c'est la même histoire. Je m'attendais à trouver des lits superposés assortis de draps blancs... que dalle. Depuis l'extèrieur, je voyais des planches, elles aussi grises, et si je levais légèrement le regard, au loin j'aperçevais de nouveau le ciel. Des bâtiments fantômes, des  carapaces vides. Un gémissement solitaire respire entre les baraques. J'empoigne le fer, j'entre. Le froid des planches pleure de même les murs. Il n'y a pas de noms gravés ou de dates, comme on pourrait s'y attendre, simplement, un ordre mortuaire. Une légère odeur de moisi sort de son évidente cachette. Punaise, il faut sortir ici, ce que j'y fais, je n'en sais rien, comment je suis atterrie dans un tel cimetière de souvenirs, je crois avoir baissé mes gardes. Entre temps, j'entendrais presque un capo m'ordonnant d'aller voir ailleurs. Ils avaient même du divertissement. Un petit hall en bois, modeste, ou ces apprenti-tueurs claquaient des doigts le vendredi soir. Car jamais, jamais les canons de Fort Casey n'ont détonné de colère à la mer, pas une seule fois. Un concert hall, les cheveux un peu gras. Le sourire goudronné. La pêche aux pommes avec les dents, c'est drôle ce truc. Un magazine masculin spécial Bettie Page sous l'oreiller. Plus tard, je serai Johnny Cash... si la mort ne m'attrape pas par derrière. Un couteau suisse en poche, on fait tourner le feu, on lance un regard par-dessus nos épaules, on n'est jamais assuré. Et puis la vieillesse, c'est encore pire parce qu'au lieu de vous traverser comme le fait la mort, elle se plante dans l'échine. Elle en fait son nid. Et puis, le poison se loge dans la spiritualité. L'un d'eux a déniché une Nova vert pomme. Il fait le vantard parce qu'il a rescotché le tableau de bord qui foutait le camp.

Si seulement l'on pouvait mourir au milieu de la danse! 

 

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24 juin 2012

Les Goélands

Il sait de quoi il parle. Même détruit, il est conscient du vrai. Parfois, je me demande s'il n'est pas le seul être au monde à avoir flairé le monde à ma manière. Il est, je pense, mon être plus intense. Il ne croit pas en l'au-delà.

 

Il me faut trouver l'enfer sur terre tant que je vis...

cela te parraîtera illogique,

mais peut-être qu'un jour tu comprendras.

En attendant je t'en prie,

Ne reste pas ici, mon élégie.

Vas-t'en, tu ne me mérites pas,

Je ne suis rien d'autre que décevant

Ne me laisse pas te gâcher ton temps.

 

Je m'assis parce qu'il m'épuisa; ça il le sentait. Nos yeux traînaient sur les flancs de la Skagit; nous parlions, je crois, de musique. N'étant pas une native, je murmurais interrogativement le nom de la rivière, mes cils brossant les eaux. Il salua mon accomplissement, il m'encouragea. Oui, c'est bien la Skagit, mon amie... ma petite Française bien-aimée atterrie là, rien que pour moi, de toutes les personnes grouillant sur ce pauvre monceau de planète, et c'est moi que tu as choisi... il sourit seul. Ses longs doigts cherchent une cigarette dans sa poche. Je le rejoins, il me tend un feu. Nous brûlons au bord de l'eau.

 

De l'autre côté des flots s'élève la colline boisée où se perchait mon oiseau. Je me disais que les nuits devaient êtres froides. Il ne disait rien, sirotant sa nicotine, caressant son égo le temps d'une illusion. Son coude tourné vers moi se tenait au niveau de mon bras, les cheveux noirs d'Indien lui coulant de sous son chapeau crasseux. Et mes doigts affamés se tendaient dans ma poche. Mon coeur ridicule, les joues écrasées contre ma cage thoracique le fixait avec les yeux de la famine. 

 

Souvenirs, souvenirs. Souvenirs de mon demi-indigène. 

 

  Son bras était là, je ne l'ai pas pris. Son coeur était présent mais refusait de s'ouvrir. Nous étions deux enfants au bord de la rivière; deux bambins de vingt ans et nous parlions de musique. Il me parlait de l'armée. Classiquement, il m'avouait ne jamais vouloir y retourner. Mais plus sérieusement, il m'avouait ses peurs. Il me confiait qu'il cauchemardait qu'on vienne le reprendre à cause d'une bonne raison planquée dans un obscure dossier soutenue par un code inconnu classé aux fins fonds des secrets de la grande muette des Etats-Unis d'Amérique... il en suait la nuit et je le croyais, parce qu'au même moment son regard s'est s'enflammé. 

 

  Un oiseau dissident, militaire et Indien survolant sa misérable vallée dans son abominable citron vert de Chevy Nova daté mille neuf cent soixante dix. Une voiture à muscles, dit-on; d'un effort musclé il y a foutu un gros trou là ou se trouvait la serrure du coffre. Il fait son clown fier, et il m'explique d'un air amusé qu'il la remplacerait avec une poignée de porte. Il m'ouvre la porte du côté passager et je m'installe, le temps qu'il examine le tout au moindre détail. 

Les sièges s'avèrent de la merde impériale et je ne manque pas de déchirer mon collant sur un espion coupant. Evidemment, il a tout vu et a tout entendu; plus inquiétant encore, il ne fait aucune remarque. Quelle horreur.

 

  Qu'une demoiselle déchire son collant dans sa caisse à lui a bien dû lui faire plaisir. Le moteur démarre en crachant, et l'on repart en grosse toux. Au début; la route, sinon, défilant au son d'une longue indigestion d'essence sans fin. On passait au-travers de la ville insignifiante, avec son supermarché comique, son centre-ville négligeable, la gueule médiocre du traffic. Au restaurant mexicain du rond-point, une fausse blonde de prostituée s'est vomie dessus. Trop de margaritas, certainement- bienvenue à Sedro-Woolley, le centre culturel de l'univers.

 

Mal à l'aise. On passe devant une école avec un espèce de terrain vague où les enfants jouaient au foot. Et là, tu y es allé quand tu étais gosse? Non, même pas. Il m'expliquait quelque chose mais je n'ai rien retenu. Ce n'était sûrement pas important. Mais bon, à part cela il aimait les oiseaux, surtout les goélands. Les goélands? Ah, mais tu ne joues pas dans Le... goéland, de Chekhov, en ce moment?

 

Si... je suis Nina... je suis un goéland... non, ce n'est pas cela... je dirais plutôt une mouette...

Il veut voir la pièce. Il ajoute au passage qu'il aimerait qu'un de ces jours je lui chante un air en français. Et moi, je revois la dernière scène avec le suicide de Treplev... le pistolet dans le tirroir... c'était là qu'il l'avait planqué. Le revolver caché dans le bureau, c'était son idée à lui.

Je suis un goéland; moi aussi, il m'est arrivé de fixer le fond d'un revolver. Ce n'est pas terrible, comme sensation. La Nova garrée dans un coin du parking du Food Pavillion, à quelques mètres de ma voiture, on parle encore de théâtre. (Coupe le moteur, tu gâches de l'essence.) Je suis Nina, je suis le goéland. Sur scène, les sanglots me convulsent. J'en écoule de partout. De tout mon nez, de tous mes poings, de tout mon corps dans ma vilaine robe noire je tente de les retenir. Vas-y, pètes-toi un trou dans le crâne, le Treplev, et vas voir si j'en ai quelque chose à faire. Le plus je te fixe, le plus tu deviens ma tombe à ciel ouvert. Le plus je te convoites, le plus je m'évide. Elégie trahie, spiritualité gâchée. Je remonte à la surface, en manque de nicotine. Goéland devenu corbeau qui m'apporte les scrupules. Je reste et puis je crève. 

 

On parle d'oiseaux, parce qu'il aime ça, les oiseaux. Quand il en parle, il a les yeux grands ouverts comme un faon et ses lèvres crépitent. Il aime les pies, surtout. Les pies d'Europe.

 

Et euh... bon, question bizarre mais... toi, si tu étais un oiseau, lequel serais-tu?

 

Moi? J'en sais rien. Un aigle, probablement. Un aigle royal, comme ce qu'il y a chez nous en France. Et toi?

 

Un roitelet, perdu au fond de la neige. 

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Une Française en Amérique
  • Je vous écris du fin fond du Nord-Ouest américain, où je suis courament expatriée. D'ici, je présenterai des écrits traitant de la vie d'exilé, des expériences cosmopolitaines, ainsi qu'un visage méconnu de l'Amérique contemporaine.
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