Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Une Française en Amérique
28 juillet 2012

Prélude introspective

Il est huit heures du soir dans la salle de concert. Au départ, à premier coup de vue se présente un espace vierge anticipant le tableau. Mon oeil plonge sur les lignes limpides des sièges acceuillant bientôt les futurs jardiniers. Je suis une ombre; par les allées l'on se file, les prétendants coulent cherchant à se mêler sans bruit à l'environnement. Car il faut trouver le parfait camouflage ou bien, la neutralité conventionelle pour s'imbuer de couleurs que les assoiffés attendent d'une patience quasi minérale. 

 

A peine assise, je fais papilloner mon programme. Autour de moi, la fantaisie prend aux coeurs de certains, le canevas se transforme en estampe. C'est qu'ils n'ont aucune patience, les autres. A quelques sièges de mon épaule une vieille précieuse joue avec son châle. La plupart des prétendants ont beau être froids- le romantisme les incite à la rêverie. Ils imaginent déjà leur extase. Ils trempent leur programme de leurs attentes; à peine installés parient-ils sur les saveurs spirituelles qu'ils dégusteront, chaussons dans leur salle de concert. 

 

La musique n'est pas le théâtre. La musique ne fait pas pleurer parce que la victime est blessée, mais plutôt parce qu'elle la complimente. 

 

 Les morceaux figurant sur le programme, je ne les connais pas. Je n'ai pas honte de me l'avouer, parce qu'avec mon ignorance vient aucune exigence. Je viens, j'entendrai, je découvrirai. Chaque respiration deviendra souffle vital qui brise la routine pulmonaire avec le son qui l'accompagne. Je serai jetée par les harmonies et les phrases à tour de rôle de mondes en dimensions, en état de peur en état d'esprit, je viendrai m'écraser sur les murs du silence et je suivrai le carousel, toujours sans exigences. Je suis là pour recevoir la gloire que d'être particule. 

 

L'espace enfin se concentre, la lumière bronzée se courbe. Au centre de l'orbe, un piano. Noir. Si poli, si parfait. Un piano en équilibre, les ivoires rectilignes, plus que prêtes. Un miroir ombrageux de quiétude, on verrait s'y refléter une tornade prochaine. Un bijou prestigieux, on dirait un pur-sang plaqué or attendant son cavalier. Pourquoi ne piaffe-t-il pas d'impatience, ce poulain? Il paraît qu'il n'est pas encore assoupi, il est encore flambant tendu de la fabrique; ce doit être la nervosité du premier concert surement. Si j'étais à sa place, je piafferais. 

 

L'espace se concentre, la concentration courbée. Mon regard se dirige vers la gauche, vers les portes vernies d'où paraîtera... un homme trapu en smoking. Il est chauve, il est très rond. Le récital de piano commencera dans quelques minutes; pour cela, la culture du silence est requise. Lui, ne fait qu'annoncer. Aujourd'hui nous n'avons pas le droit à la sympathique introduction de la part du professeur de piano; lui qui adoucit le climat de l'espérance mêlé à l'exigence académique de certains dont l'étendu, je ne saisirai jamais de ma vie la densité; alors, l'espace reste tendu. La pianiste, je la connais. Mais l'atmosphère semble sous pression; mon coeur palpite. Mon front se plisse, je sens les coins de ma bouche s'aggraver. Je ne veux pas faire partie du jury, non je serai pas coupable! Je suis particule du peuple des romances, voilà tout. Je ne veux tuer aucun chat... et s'il m'est arrivé de le faire un jour, je ne m'en suis pas rendu compte.

 

La lumière se courbe. La porte baille. Que le concert commence.  

Publicité
Publicité
Commentaires
Une Française en Amérique
  • Je vous écris du fin fond du Nord-Ouest américain, où je suis courament expatriée. D'ici, je présenterai des écrits traitant de la vie d'exilé, des expériences cosmopolitaines, ainsi qu'un visage méconnu de l'Amérique contemporaine.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité